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L’ESPOIR DE KUNDRY

s’élançant à travers la flamme, pour rejoindre, sur le bûcher, le corps inanimé de Siegfried, son époux. Elle se précipite vers la mort, cette ancienne déesse, comme vers une conquête glorieuse, puisque c’est la mort qu’elle a conquise au prix de l’humiliation et de la douleur. Comme si cette vision prochaine de la mort lui communiquait une science suprême, elle prophétise l’avenir, la fin du Walhall, et elle lègue à ces filles du Rhin, à demi naïades, à demi fées, qui se jouaient dans le prologue, l’anneau redoutable de Siegfried, l’anneau formé de l’or du Rhin, l’anneau pour la possession duquel les dieux ont risqué la lutte terrifiante, l’anneau des Niebelungen, autour duquel se nouent le drame de l’or et le destin des dieux. Les dieux de la trilogie meurent, en effet, pour avoir désiré la possession de l’or, de cet or terrestre dont Platon défendait le contact aux rois, sous prétexte qu’il corrompt l’or divin, caché dans l’âme. Dans la trilogie et dans Tristan, la musique de Wagner absorbe tous les prestiges que comportent le drame de l’or et le philtre de l’amour. Ayant lu dans l’avenir aux lueurs du bûcher mortel, Brunehilde, à ces mêmes lueurs, lit dans l’âme de Siegfried et proclame la justification du héros.

Mais la magnificence du symbole païen que nous représente cette mort de Brunehilde est infiniment dépassée par la beauté chrétienne de la rédemption et de la mort de Kundry. Kundry, pénitente, repentante, rachetée, Kundry morte après le baptême, mériterait, pour qui se place au point de vue philosophique de la féerie, d’être appelée la dernière des fées. Toute sa grandeur lui vient de son espérance. Car Brunehilde meurt sans espoir : sa mort survient au crépuscule des dieux, et consacre la fin irrémédiable d’un monde.