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LA FÉERIE DANS UN CERVEAU DU NORD : ANDERSEN

pensations. Ce serait fort bien s’ils n’avaient pas un « prochain » souffrant, palpitant, frémissant, et si chacun dans la mesure de ses forces ne devait travailler au règne de la justice. Andersen, au moins, travaillait pour le prochain, en écrivant de si jolis et si tendres contes ! Mais veut-il nous prémunir contre des ambitions trop immédiates de justice absolue, de certaine justice tranchante comme le couperet de la guillotine ? Il faut prêter un cœur humain à la justice. Songez donc que notre cher pays de France, pour s’être affolé de cette histoire romaine où l’on voit des pères condamner leurs fils, des sœurs exécutées par leurs frères, a subi des mois et des mois de Terreur ! Pour arriver aux plus invraisemblables conséquences, il suffit qu’une mode de pensée s’empare des pauvres et légères cervelles humaines. Andersen n’ignore rien de cela.

Quelles fines critiques il y a dans les Habits neufs de l’empereur et dans le Rossignol ! Le premier de ces récits nous montre deux aventuriers persuadant à un souverain qu’ils vont tisser pour lui la plus belle étoffe du monde, mais que les sots et les personnes incapables de tenir leur emploi ne pourront l’apercevoir. Ils font mine de se livrer à leur besogne ; mais de fil, ni d’étoffe, il n’est pas seulement question, et chacun, redoutant de passer pour sot, s’extasie à qui mieux mieux sur la beauté de l’étoffe, et surenchérit d’admiration. Or, les coquins se font livrer des provisions de soie et d’or qu’ils dissimulent dans une cachette, et continuent la comédie. Le jour arrive où l’empereur est censé revêtir ses habits neufs, et les courtisans s’émerveillent de leur splendeur, et les chambellans portent avec dignité la traîne imaginaire, et tout le monde écarquille les