Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.
384
LA VIE ET LA MORT DES FÉES

Andersen est un philosophe qui met sa philosophie dans ses contes, et il serait étrange que le vieux Ferme-l’Œil échappât à la loi commune, et ne se distinguât par, au moins, deux grains de philosophie. Dès que Hjalmar, le petit ami du vieux Ferme-l’Œil, a posé la tête sur un oreiller, toutes les notions du monde extérieur se brouillent dans sa petite cervelle ; les plantes qui fleurissent à sa fenêtre deviennent des arbres riches de fleurs et de fruits ; les meubles, dont le silence a parfois un air de mystère, se mettent à causer entre eux, en faisant valoir chacun ses propres mérites, comme de simples humains ; les cahiers enfermés dans les tiroirs laissent échapper des lamentations pour toutes les négligences dont Hjalmar se rend coupable à leur égard ; les gouttes de pluie que l’on entend rebondir sur les vitres forment un fleuve qui passe sous les fenêtres, amenant un bateau. Hjalmar s’y embarque, avec le vieux Ferme-l’Œil, pour des pays lointains, d’où il sera revenu à l’heure où surgit la tendre aurore. Que la chambre devienne une serre et la rue un cours d’eau, cela n’a rien pour nous surprendre. Ces métamorphoses, qu’un autre conteur demanderait à la baguette d’une fée, Andersen, pour nous faire sentir tout ce qu’a de fantastique la vie réelle, ne les demande qu’au rêve et au sommeil. Qu’une fougère devienne une forêt ; une goutte d’eau, un océan ; il n’y a là rien d’impossible pour ce monde où l’esprit n’a plus ni contrôle ni mesure, où toutes les proportions connues s’évanouissent. L’impression qui, dans l’état de veille, effleure à peine cet esprit devient par le sommeil une sorte de drame ; c’est le mendiant qui sonne, furtif, à votre porte dans le crépuscule et qui vous apparaît au cœur de la nuit sous les traits d’un brigand venu pour dévaliser