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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

oserait lui jeter la première pierre ? Malgré tout cela, cette suivante d’une suivante est une douce petite fée. Une bonne part de la sagesse humaine consisterait sans doute à ne point dédaigner les menues joies de la vie quotidienne, pour d’impossibles ou d’exceptionnels bonheurs. Il faudrait être heureux parce qu’un rayon a brillé, parce qu’une rose a fleuri. L’humilité est toujours une vertu, même dans l’intime satisfaction qu’elle nous permet d’apprécier ; et quelquefois, pour une petite joie, l’humble oublie un moment sa grande peine. La dernière tache de l’aimable messagère consiste à chausser quelqu’un des galoches du bonheur. Ce quelqu’un verra se réaliser son vœu le plus cher, jusqu’à l’instant où il perdra sa précieuse chaussure. La fée du Souci hoche la tête. Elle est plus âgée que sa compagne. Elle a l’expérience des êtres humains, et elle sait que ces pauvres fous ne sauront faire qu’un médiocre usage des galoches du bonheur.

Monsieur le Conseiller rêve et parle du « bon vieux temps ». Il a dit ce soir au salon de fort éloquentes choses sur l’époque du roi Jean. Absorbé par ses réflexions, il chausse, au lieu de ses galoches, les galoches du bonheur. Aussitôt, par leur vertu magique, il est transporté rétrospectivement sous le règne qu’il exalte. Nous n’avons pas à le suivre à travers ses mésaventures, mais il nous suffit de rappeler qu’il perd ses galoches dans une rixe aux jours bienheureux du roi Jean, et qu’il n’est pas fâché de revoir la belle ville moderne, propre, soigneusement éclairée, où il a vécu jusqu’à l’heure des galoches, au lieu des terrains boueux, des misérables taudis, et des êtres trop différents de lui-même, que l’enchantement lui a fait connaître en le transpor-