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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

Ganieda était une personne ingénieuse ; poétesse comme son frère était poète, elle comprit que toutes les raisons seraient vaines, et qu’il fallait éveiller en lui des souvenirs. Un barde envoyé par elle se mit à chanter la douleur de la pauvre Gvendoloena, l’épouse abandonnée, et Merlin, qui se laissait toucher plus facilement que convaincre, accepta de retourner à la cour.

Mais il n’aimait plus la société des hommes ; il ne pouvait plus l’aimer, devenu trop sincère et trop clairvoyant. Il ne pouvait plus l’aimer, puisqu’il lisait les pensées cachées, et que cette science redoutable lui donnait la nostalgie de ses grands arbres. S’il ne prévoyait pas encore les paroles de la chanson shakespearienne : « Souffle, souffle, vent d’hiver, tu n’es pas si cruel que l’ingratitude humaine », il en avait, dans l’âme, toute la musique. Sa sœur Ganieda n’échappa point aux périls de cette clairvoyance. Elle était une sœur parfaite, mais une épouse volage, aimant à causer sous les arbres avec les jeunes pages de la cour, et le roi Rodarcus, ignorant ses mésaventures conjugales, caressait un jour tendrement les beaux cheveux de Ganieda, quand il y aperçut une feuille emmêlée ; du même geste amoureux, il rejeta cette feuille. Merlin était présent : il se mit à rire. Interrogé sur les causes de son rire, le rude Merlin, aussi incapable de mentir que la voix des forêts ou des eaux, déclara que cette feuille s’était emmêlée dans les cheveux de la reine, alors que, assise sous un arbre, elle accordait une entrevue à son amant. Rodarcus s’émut, et Ganieda protesta. Pour convaincre Merlin de folie et d’erreur, elle l’interrogea trois fois sur les destinées d’un enfant que, chaque fois, pour la circonstance, elle revêtit