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LA FÉERIE POÉTIQUE EN ANGLETERRE

mort ? Et qu’est-elle pendant que nous vivons : moitié gloire, moitié mépris ? Vous savez bien que l’envie vous appelle fils du diable, et depuis que vous apparaissez comme le maître de tous les arts, ils voudraient faire de vous le maître de tous les vices. » Souple et féline comme une vague, perfide comme l’onde, toutes ces comparaisons s’adaptent à cette Viviane en robe légère et brillante, aux beaux cheveux encerclés d’or. Tennyson se rappelle que les poètes de la Table-Ronde ont fait d’elle la Dame du Lac. Merlin veut lui persuader qu’il ne doute pas de son amour, mais qu’il craint de se trouver à la merci d’une heure de jalousie, et Viviane implore la révélation du charme, la suprême révélation de la science fatidique ; elle se suspend au cou de Merlin ; et son charme de fée opère déjà, ce charme irrésistible et redoutable. Il est dans les yeux de Viviane, il est dans sa voix, dans son attitude, dans ses caresses. L’eau, sa sœur, n’a besoin que de trouver une fissure pour inonder le navire, et le submerger ; il en est ainsi de Viviane et de l’âme de Merlin. Viviane en a découvert la secrète fissure ; elle sait tout envahir, submerger, dissoudre ; elle nie le courage, elle nie la noblesse, elle nie la vertu, elle nie la gloire ; et toute la déception de la science conspire avec Viviane, avec Merlin, contre Merlin lui-même. Les forces du néant sont à l’œuvre comme Viviane. Défaire ! Détruire ! Voilà la devise au nom de laquelle celle-ci agit.

Et l’âme de Merlin, troublée par la vanité des choses, ne résistera point à cette prière ; l’enchanteur dira son secret à la triomphante Viviane… Imprudent Merlin ! À quoi vous a servi de tant savoir, à quoi vous sont utiles tous vos prodiges ? Viviane impitoyable et triomphante se redresse et se vengera