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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

souriait ; elle souriait douloureusement. Elle suppliait Merlin de lui confier son secret, le secret de sa science, le secret qui devait donner à Viviane un pouvoir redoutable sur le destin de l’enchanteur. Elle chantait : « Si l’amour est l’amour et si l’amour est nôtre, la foi et la défiance ne peuvent s’y combiner… Ne me confiez rien, ou confiez-moi tout. Ô Maître, aimez-vous mes tendres rimes ? » Merlin hésitait, à demi vaincu : si câline était la voix, si beau le jeune visage, et les larmes ajoutaient au prestige de ces doux yeux. Alors, il s’indigna, voulant se ressaisir, se rappelant les scènes et les strophes héroïques : « C’était une noble chanson, mais, Viviane, quand vous m’avez chanté vos douces rimes, il m’a semblé que vous connaissiez la chanson maudite, et que vous l’essayiez sur moi. » Viviane souriait encore douloureusement : « J’ai compromis les miens pour toujours, en vous suivant à travers ce bois sauvage, parce que vous étiez triste, et pour vous consoler. » Alors elle reprit le refrain perfide que le poète se plaît à lui mettre sur les lèvres : « Ne me confiez rien, ou confiez-moi tout… »

« Ce poème, reprend-elle, est comme le beau collier de perles de la reine, qui se brisa dans une danse, et les perles furent répandues. Les unes se perdirent ; d’autres furent volées, d’autres gardées comme des reliques, mais jamais plus les deux mêmes perles sœurs ne se rencontrèrent, le long du fil de soie, pour se baiser l’une l’autre. Il en est ainsi de ce poème, le sort l’a dispersé entre beaucoup, et chaque ménestrel le chante différemment. Cependant, un de ses vers demeure la perle des perles : « L’homme rêve de la gloire, quand la femme s’éveille à l’amour. »

« La gloire ! Que nous importe la gloire après la