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LA FÉERIE POÉTIQUE EN ANGLETERRE

d’Armide. Mais le poète le célèbre sur son clavier à lui, son merveilleux clavier de couleurs, de sons, de parfums, et l’on dirait que l’âme aspire à se dissoudre dans ces innombrables et fluides délices. Il n’y veut, certes, d’autre fée qu’Emilia, mais la présence d’un cœur humain suffit parfois à apporter le drame dans la féerie, à donner la note de la désillusion dans la fanfare de l’enthousiasme.

Et la mort devait venir, elle aussi, à travers les ondes d’une mer bleue, momentanément assombrie et convulsée. On sait la fin tragique de Shelley dans une promenade en mer. Il n’avait pas été ici-bas une âme ; il n’avait été qu’une voix où passa la beauté des choses, étranger, comme ses sœurs féeriques, aux luttes, aux souffrances, aux beautés supérieures du monde moral.

Et, quand il fut mort, avant de savoir la funeste nouvelle, une de ses amies le vit en rêve, pâle, défait, l’air misérable : « Le pire, dit-il, le pire, c’est que je n’ai rien pour payer ma dette. »

Faut-il, pour payer à la vie sa dette, autre chose que des œuvres géniales, autre chose que des vers enivrants, autre chose que des poèmes dont la beauté paraît auguste aux yeux humains ? Que pouvait désirer l’ombre inquiète de Shelley ? Les amis du poète lui donnèrent abondamment leurs éloges — éloges vains et charmants comme ces fleurs et ces boucles de cheveux coupées, que l’on déposait au seuil des tombeaux antiques. Un humble croyant se fût demandé s’il ne sollicitait pas une prière…

Et, devant les poèmes merveilleux qui sembleraient presque sacrés à force de génie et de beauté, le paganisme lui-même poserait la question d’Antigone : « Qui sait si les mêmes choses sont sacrées chez les morts ? »