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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

viendra lui parler des embûches de la volonté. Ne serait-elle pas, si l’on y tenait, le symbole même de la volonté, selon Schopenhauer, cette insatiable Isabelle de la vieille histoire ?

Ce cachet de philosophie populaire se reconnaît dans la légende des Trois Fileuses : je ne sais si je vois juste, mais, avec une nuance d’amertume, les Trois Fileuses, malgré leur air de conte ingénu, recèlent peut-être l’esprit qui souffle dans les révolutions. Fût-ce un apologue destiné à voiler quelques leçons de justice, visant des personnages haut placés ?

La belle indolente que sa mère fait passer pour une habile et infatigable fileuse suit la reine qui veut la marier à son fils, lorsqu’elle aura prouvé son talent et achevé certaine tâche immense. La jeune fille se désole quand trois femmes étranges se présentent à elle : l’une se fait remarquer par une lèvre énorme, l’autre par un large pouce, et la troisième par un large pied : « Veux-tu, disent-elles à la paresseuse, que nous nous chargions de ta besogne ? Nous ne te demandons qu’une chose. N’aie pas honte de nous, et invite-nous au festin de tes noces ». L’accord fut ainsi conclu. Quand la tâche fut achevée, la jeune fille épousa le beau prince. Elle tint sa parole, et invita les trois fileuses. Frappé de leur aspect bizarre, le prince les interrogea : « Pourquoi ce pouce ? Pourquoi ce pied ? Pourquoi cette lèvre ? » « C’est à force de lécher le fil, dit la première. — À force de tordre le fil, dit la seconde. — À force de mouvoir le rouet avec mon pied, dit la troisième. — Fort bien, répliqua le prince, mais ma belle fiancée ne filera plus. » Ô belle et paresseuse fiancée, si inconsciente que vous profitez en riant du pénible labeur d’autrui, et vous, trio de fileuses, qui lui laissez son éclat et sa