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CARLO GOZZI ET LA FÉERIE VÉNITIENNE

tien ; autour d’eux, le silence des canaux à peine troublé par l’effleurement d’une gondole. Gozzi s’éprit d’un amour idéal. Les promenades romanesques, les tendres confidences recommencèrent, en gondole cette fois, jusqu’au jour où survint un ami de Gozzi, moins sentimental et plus entreprenant que lui, qui fit succéder à son profit le dénouement de l’amour prosaïque aux préliminaires de l’amour idéal, et, par cette trahison, guérit le poète de sa confiance en l’amour idéal.

Or, le maigre et pâle Gozzi qui se chauffait au soleil sur la place Saint-Moïse avait d’autres soucis que ceux de ses amourettes et d’autres ennemis que ceux qui faisaient déchoir les belles du piédestal qu’il leur élevait si patiemment ! Il aimait la vieille féerie italienne, la vieille et folle comédie, et luttait contre les importations étrangères, contre les imitations de notre inimitable Molière, contre l’assagissement prêché par Goldoni ou Chiari — Chiari, traducteur infatigable des pièces françaises. Gaspard Gozzi n’avait pas manqué de faire admettre son frère à l’Académie des Granelleschi, autrement dit Amateurs d’âneries, académie présidée par un vieux seigneur maniaque et rimailleur, mais où l’on prêchait le culte de la pure langue toscane. Aux Granelleschi notre Carlo Gozzi apportait son rêve : la renaissance de la comédie nationale.

Ce n’est ni la première, ni la dernière fois, que, dans l’histoire littéraire des fées, nous assistons à pareil phénomène. Il y a des liens subtils et solides entre ces anciennes légendes et le patrimoine d’une nationalité. Gozzi, à Venise, comme Basile à Naples, comme Perrault à Paris, comme, plus tard, les Grimm à Cassel, réagissaient contre la mode, le