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CARLO GOZZI ET LA FÉERIE VÉNITIENNE


II


« Voyez-vous là-bas un homme qui se chauffe sur la place Saint-Moïse ? Il est grand, maigre, pâle, et un peu voûté. Il marche lentement, les mains derrière le dos, en comptant les dalles d’un air sombre. Partout on babille à Venise : lui seul ne dit rien ; c’est un signor comte encore plus triste du plaisir des autres que de ses procès. » Tel est le portrait de Gozzi, dessiné dans le prologue d’un de ses adversaires. Il n’était pas à court de riposte : « Vous donnez de l’ennui aux colonnes mêmes des théâtres, » leur répondait Gozzi.

Sans doute, il n’avait pas toujours eu cette allure spectrale. Il avait vécu, comme un autre, sa vie d’officier à Zara… Comme un autre ? Pas tout à fait, sans doute, car le rêve y eut toujours la meilleure part, et les aventures amoureuses de Gozzi, qu’il nous raconte lui-même, nous édifient sur ce point. Si naïves qu’elles soient, elles nous donnent un curieux aperçu de la couleur locale dans une petite ville dalmate du dix-huitième siècle. Il semble que, avant de s’essayer sur le théâtre de Venise, l’imagination de Gozzi s’enveloppe déjà d’une atmosphère de féerie.

Zara se trouvait coupée par une large rue où aboutissaient des ruelles. Il fallait passer par une de ces ruelles pour rentrer du centre de la ville au quartier de la cavalerie. Or, le passage en était défendu par une sorte de géant, pareil à ceux des contes de fées, un énorme Dalmate masqué qui montait la garde