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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

polo littéraire. Il subit aussi l’influence de Venise. Ses comédies féeriques sont encombrées de Turcs, de Chinois, de Maures, comme un port de la Méditerranée, et il y est toujours question de lointaines îles de délices, d’Eldorados de rêve, où les fées amoureuses enlèvent ceux qu’elles aiment ; or la vraie fée de Venise, c’est peut-être l’Adriatique, l’éternelle fiancée des Doges, celle qui prend aussi ses amoureux pour les porter au loin vers ces régions de mirage, la grande magicienne à l’inextinguible sourire.

La vue de la mer fait naître le désir du lointain. Le murmure de ses vagues semble raconter tout bas les merveilles des îles heureuses.

« We yearned beyond the sky-line where the strange roads go down.
xxxx«  Came the Whisper, came the Vision, came the Power with the Need. »

« Nous aspirions à cette ligne de ciel où s’abaissent les chemins étranges. Vint un Chuchotement, vint une Vision, vint le Pouvoir avec le Désir. »

Ainsi chante Rudyard Kipling dans un poème qui s’appelle : Chanson des Anglais ; mais ces vers conviennent à l’âme de tous ceux qui furent bercés par les ondes marines. Perrault, mi-Parisien, mi-Tourangeau, n’a jamais connu cette anxiété poignante au cœur de l’homme comme une ressouvenance de ses aïeux nomades. Gozzi, qui contempla les horizons de l’Adriatique, et vit la lumière rouge du soir mourir dans les voiles orangées de Chioggia, n’a pas du tout conçu les fées comme put les concevoir l’amoureux de Versailles que fut le secrétaire de Colbert !