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CARLO GOZZI ET LA FÉERIE VÉNITIENNE

femmes qui se cachent sous ces masques ont leur existence propre, leurs aspirations secrètes, leur vie intérieure. On cite un bouffon de comédie qui porte cilice et meurt en odeur de sainteté, une actrice célèbre pour son art et sa beauté, qui s’efforce de mener de front sa carrière et ses oblitérations familiales.

Au dix-huitième siècle, Goldoni relève le sceptre de la comédie, il la transforme, l’embourgeoise, l’apaise en quelque sorte, efface les personnages excentriques, amène au premier plan les amoureux, et sème à pleines mains, dans des tranches de vie quotidienne, un sel de vie, de goût, de bonne humeur et de santé. Mais Gozzi, en vrai fils de Venise, regrette la vieille comédie des masques et ses allures de féerie. Il n’a pas en vain respiré, depuis sa naissance, l’air d’un vieux palais délabré sur les bords d’un canal. Il a des sœurs religieuses, des frères fonctionnaires. Un de ses frères, le comte Gaspard Gozzi, est un écrivain connu ; sa belle-sœur, bas-bleu et poétesse, vend à la boutique voisine les parchemins de la famille, mais Carlo Gozzi, notre héros, les sauve, comme il sauvera les fées, les monstres, les géants, tout l’attirail des contes que peuvent raconter aux bambini les simples nourrices de Venise. Sans doute, beaucoup de ces contes avaient déjà couru le monde ; il est aisé de les reconnaître sous des vêtements quelque peu différents. Les uns accouraient du fond de l’Italie ; les autres du vieux et fabuleux Orient et d’ailleurs encore, multiples, imprévus, souples, chatoyants, vivaces, tout prêts à scintiller et à reluire dans la féerie de l’incomparable atmosphère vénitienne.

La mère de Gozzi était une Tiepolo. Quand le nom n’y serait pas, l’analogie nous parlerait suffisamment d’un cousinage intellectuel. Gozzi est une sorte de Tie-