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LES FÉES DE LA FRANCE CLASSIQUE

nuit, ils regardent la même lampe s’allumer, éclairer leur causerie. On a traversé ensemble les mêmes périodes de l’existence ; chaque inflexion de voix, chaque jeu de physionomie, chaque coup d’œil sont appréciés à leur juste valeur, et selon leur signification. Rien n’est caché des goûts, des manies, des petites faiblesses de chacun. Il est très facile de concevoir que l’on pénètre ainsi le cœur humain à une profondeur que n’atteint pas notre observation distraite, précipitée, aussi vaste que superficielle. Voyez, par exemple, quelle attention les héros de Racine prêtent aux moindres signes du visage. Dans un de ces petits cercles, très affinés, La Rochefoucauld a ciselé ses Maximes, La Bruyère a gravé ses Caractères. Peut-être est-ce d’une telle société qu’est sorti cet admirable Discours sur les passions de l’amour, dont l’attribution, parfois contestée, peut être donnée à Pascal. Cette connaissance précise du cœur humain n’abandonne pas Hamilton ni Mme d’Aulnoy, même quand ils laissent aller leur imagination, la bride sur le cou. Plus tard, Mlle de Lespinasse raffolera des contes de fées.

Vous représentez-vous ces auditeurs ? Ils arrivent portant, comme un invisible fardeau, un tas de petites misères inhérentes à la vie quotidienne. Le brouillard, le froid, l’humidité, l’obscurité du dehors ; une ambition déçue, une visite manquée, une vanité froissée ; tout cela réveille, dans leur corps et dans leur âme, l’écho assourdi des vieilles douleurs ; il y a dans l’une des rouages qui grincent et dans l’autre des articulations qui résistent. Quelque part on trouve un feu, une lampe, une réunion de causeurs qui vous accueillent. Déjà les titres éclatants du Rameau d’or et de l’Oiseau bleu sourient comme des rayons de