Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/267

Cette page a été validée par deux contributeurs.
255
LES FÉES DE LA FRANCE CLASSIQUE

ment aux dames de la cour, aux duchesses à tabouret, enragées de préséance, et chez lesquelles une petite omission amène des désespoirs tragiques ou des haines furieuses. Mais il n’en faut point conclure que cela n’est pas conforme au tempérament des fées : elles ont à l’excès tous les défauts féminins, et tous les caprices, toutes les susceptibilités des grandes dames habituées à l’adulation.

Il est délicieusement amusant de comparer notre Belle au Bois dormant à la Talia de Basile ou à la Blanche-Neige de Grimm, l’une aux allures sauvages, l’autre aux allures mythiques. Ah ! la nôtre est unique et incomparable, dans l’élégance d’une civilisation raffinée. Elle ne voisine pas avec les gnomes des montagnes, elle dort au milieu d’une cour magnifique que a gardé dans le sommeil son décor d’apparat, comme si, par hasard, les courtisans de Louis XIV s’étaient assoupis à leur poste de l’Œil de bœuf, en attendant le passage du grand Roi. Ainsi l’a voulu la fée, venue exprès, pour toucher tout ce monde de sa baguette magique, dans un char de feu attelé de dragons. Ce détail nous montre une certaine hardiesse féerique dont Perrault se gardera bien d’abuser. Pour le reste, c’est Versailles ou Fontainebleau plongés dans le sommeil, mais parfaitement reconnaissables. Il y a même les violons si goûtés aux Médianoches ! Hélas ! Ceux-ci sont du siècle dernier, et ils ne savent jouer que les airs d’il y a cent ans. Seuls, ils expriment la dissonance imperceptible. Car elle est tragique, l’aventure de la princesse endormie, si tragique que l’on peut se demander si le don du réveil, octroyé par la bonne fée, ne semble pas pire que la malédiction de la fée mauvaise. Elle paraît avoir seize ans, mais un siècle pèse quand même sur