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SPENSER ET LA REINE DES FÉES

Roland Furieux de l’Arioste. Mais, lorsque Spenser nous montre Duessa comparaissant au tribunal de Mercilla, sous le tissu d’injures, nous voyons certaines allusions — quelles allusions ! — au charme de Marie Stuart, à ce charme irrésistible qui, jusqu’au dernier moment, dans les cœurs les plus prévenus, lui ouvrit les sources de la pitié. L’emprisonnement et la mort de leurs victimes n’assouvirent pas les rancunes puritaines. Elles furent patientes à composer un tissu de calomnies, tel qu’il s’en est rarement trouvé de semblables, si bien que, devant certaines ombres vraies ou factices, qui se jouent encore sur le beau visage de Marie, l’historien, troublé, ne sait que s’arrêter, hésiter. On connaît pourtant des mots exquis de son cœur. Marie était belle, chevaleresque, artiste, raffinée, elle nous émeut même dans les livres écrits par ses ennemis, tandis que, à travers les louanges des panégyristes, Élisabeth nous laisse de la défiance.

Mais Spenser qui, du vivant de Marie, réclamait sa mort, ne s’est jamais ému ni de sa beauté ni de son malheur.

Il ne convient guère d’approfondir l’âme de ce poète. Mieux vaut s’arrêter à son œuvre : un royaume des fées où l’on se voue à des entreprises morales (ou prétendues telles), à travers des tableaux qui ne le sont pas toujours, ainsi peut-elle se définir. Les images brutales ou voluptueuses se mêlent aux prédications édifiantes, mais c’est un étrange prédicateur que ce poète qui ne s’attendrit le plus souvent que sur la volupté. Cependant, il a sur l’amour toute une pure envolée de vers resplendissants, par exemple dans ses Hymnes à l’Amour et à la Beauté, dans le Prothalamion composé pour sa belle épousée.