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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

chrétiens qu’elle a toujours haïs et qu’elle veut exterminer. Elle rejoint les armées musulmanes et s’allie aux forces d’Égypte. Mais, si vive que soit sa haine, son amour la dépasse encore. Pour constater la puissance de cet amour, il suffit qu’elle retrouve Renaud : après l’avoir reconnu, après l’avoir interpellé, elle s’évanouit et tombe, dit le Tasse, comme une fleur à demi brisée sur sa tige. Revenue à elle, elle répand de nouveau son âme en discours passionnés, et Renaud l’apaise, lui parlant de son amour, et souhaitant de lui voir partager sa foi. Elle soupire, vaincue : « Je suis ta servante ; dispose d’elle selon ta volonté, et qu’un signe de toi soit ma loi ». C’est ainsi qu’Armide, la magicienne Armide, vouée jusque là aux noires expériences de la magie, pour le service des puissances de ténèbres renonce à son art maudit et consent à se faire chrétienne.

Cette scène ne peut être considérée comme le pendant de celle où Clorinde demande à Tancrède de lui conférer le baptême ; l’élément chrétien qui donne une beauté si profonde et si poignante à l’épopée du Tasse n’y a pas la même vie, la même intensité : Clorinde garde sa beauté unique, et Armide demeure la sœur douloureuse des amantes : « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée !… »

Tout le rêve de l’Italie respire dans cette Jérusalem délivrée, rêve idéal ou passionné, car l’odeur des terrasses de myrtes et d’orangers semble avoir passé dans cette poésie, avec les échos d’ardentes et langoureuses sérénades : Tancrède chante son âme brisée par l’amour de Clorinde, Armide pleure son cœur meurtri par le regret de Renaud : c’est la plainte ou le sanglot de l’Italie amoureuse. Mais