Page:Félix-Faure-Goyau - La vie et la mort des fées, 1910.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
LA VIE ET LA MORT DES FÉES

dangereux, il est perfide, car c’est lui qui provoque au fond du jeune cœur, comme pour s’attirer une réponse, toutes les voix endormeuses de la raison et de la conscience.

« Ô jeune homme, tandis qu’avril et mai tissent un manteau de soies vertes et fleuries, qu’un faux rayon de gloire et de vertu n’enveloppe pas ce tendre esprit : seul celui qui suit son propre attrait est sage, et à l’heure voulue, il cueille le fruit des années… Fous, pourquoi refuser le don précieux, quand votre jeunesse est si brève ? Des noms, idoles sans réalité, voilà ce que le monde appelle exploits et valeur. La gloire qui vous affola par la douceur d’un son, superbes mortels, est un écho, un songe, l’ombre même d’un songe qui, au moindre souffle, s’efface et s’évanouit. »

Renaud cède à l’assoupissement qui le gagne. Armide, triomphante, s’approche : il est en son pouvoir. Elle le regarde. Il est jeune, il est beau. Va-t-elle l’enchaîner, le tuer, comme le réclament sa haine et sa vengeance ? Non, et c’est bien plus humain, elle va tout simplement l’aimer. Armide est faible comme les autres fées qui seraient faibles parmi les femmes…

Elle va l’aimer au point de ne pas réfléchir que la victoire qui consiste à rendre Renaud amoureux d’elle, est beaucoup plus complète que celle qui consisterait à le faire périr. Les victoires de l’amour sont plus profondes que celles de la haine. Armide se penche sur le sommeil de Renaud ; elle l’enchaîne, mais de fleurs ; elle se penche, dit le suave poète, comme Narcisse au bord de la fontaine. Elle recueille, avec le fin tissu de son voile, les gouttes de sueur éparses sur le front de l’imprudent dormeur ; elle