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LES JARDINS FÉERIQUES DE LA RENAISSANCE ITALIENNE

le sort d’Astolphe et être aimé de Bradamante, il tombera dans les premiers filets qui lui seront tendus. Le géant Ériphylle, qui défendait l’entrée du palais d’Alcine, est abattu par la main de Roger. Mais enfin la fée elle-même apparaît, non pas en ennemie, mais en hôtesse empressée, blonde aux yeux noirs, comme Isabelle d’Este ; belle et souriante, au milieu d’une cour composée de mille jeunes beautés qu’elle efface toutes. Dès son premier sourire, Roger est conquis. Il n’y a plus d’amour : qu’importent le courage et la fidélité de Bradamante contre un sourire d’Alcine ? Il n’y a plus d’amitié : Roger se persuade qu’Astolphe a mérité son châtiment. La fée est amoureuse. Elle prodigue toutes les délices de son séjour féerique pour captiver Roger. Et il est vraiment délicieux, ce séjour féerique. Si nous voulons connaître la vie d’une cour de la Renaissance, il faut lire l’Arioste. Les cithares, les harpes, les lyres résonnent, comme devaient résonner au palais de Mantoue, sur des églogues de Virgile ou des sonnets de Pétrarque, le clavicorde d’ivoire, le luth d’argent, l’orgue d’albâtre qu’Isabelle avait commandé à Atalante et à Laurent de Pavie. Près des fontaines, à l’ombre des collines, on lit les « dires antiques des amoureux », et puis on chasse les lièvres craintifs à travers les fraîches vallées. Roger oublie sa vie de paladin. Hercule auprès d’Omphale, Ulysse auprès de Calypso, Énée auprès de Didon, avaient ainsi abdiqué leur force, abandonné leurs victoires ; c’est toujours la même scène qui se répète. Et certains traits nous rappellent qu’Alcine, plutôt qu’une princesse de la Renaissance, serait une de ces grandes courtisanes qui, pour le luxe et l’érudition, rivalisaient avec les princesses, une Tullia d’Aragon, par exemple. Roger