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LES JARDINS FÉERIQUES DE LA RENAISSANCE ITALIENNE

Bojardo reprend le vieux poème de Narcisse dans l’épisode de Silvanella. Il redit en vers délicieux, et comme en sourdine, l’aventure chantée par Ovide, et la cruelle beauté de Narcisse qui faisait pleurer les nymphes amoureuses. Vers délicieux et tout imprégnés du rêve séculaire ! Ce chant a la grâce d’un paysage reflété dans une eau limpide, ou d’un site au clair de lune, tandis que, chez Ovide, la fraîche et vive réalité semble s’épanouir sous un rayon de soleil matinal.

Il n’est plus question de la nymphe Écho et de sa passion éperdue pour Narcisse ; Narcisse est mort, il gît dans sa beauté de fleur fauchée, auprès de la fontaine où la trompeuse image l’a déçu. Mais la petite fée Silvanella, au nom parfumé de la senteur des forêts, vient errer auprès de Narcisse qui dort son dernier sommeil. Comme toute la Renaissance, elle est amoureuse, et dans Narcisse, elle aime l’antiquité morte. Ses baisers ne le ranimeront pas. Alors son art féerique dresse pour le jeune mort un tombeau. Elle se consume dans les larmes comme la neige fond au soleil. Mais elle ne veut pas être seule à souffrir, et elle peuple les eaux de la fontaine de formes décevantes et charmeuses qui leurrent les passants d’un funeste et mortel amour.

Sur la demande de Callidore, dont le bien-aimé a péri par l’influence de la fontaine, Roland place, à quelque distance, l’un de ses chevaliers en lui donnant mission de prévenir et d’écarter les voyageurs. Désormais, grâce au paladin redresseur de torts, les artifices de Silvanella ne feront plus de victimes. Roland, par pitié, se prive d’un de ses compagnons, et celui-ci renonce à la gloire d’un beau fait d’armes, pour se consacrer à cette mission beaucoup moins