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LES JARDINS FÉERIQUES DE LA RENAISSANCE ITALIENNE

d’une autre fée, Morgane. La grande originalité de cette Morgane, c’est qu’elle est la fée des richesses. Sa grotte renferme un trésor. Elle est la reine de l’or et de l’argent. Elle possède un cerf blanc à cornes d’or qu’elle envoie par le monde, et celui qui le conquiert devient riche. Elle a ouvré un cor merveilleux dont les sons attirent à leur perte ceux qui se laissent séduire, mais Roland dédaigne la fortune : « Cela ne me déplaît point, dit-il, de me mettre en risque de mourir, parce que l’honneur du chevalier se nourrit de dangers et de fatigues, mais le gain de l’or et de l’argent ne m’aura jamais fait prendre l’épée. » Il est un vrai paladin, et le contact de l’or n’a jamais terni la pureté de Durandal. Pauvre, naïf et magnifique Roland, si près déjà de Don Quichotte ! Il y a, dans le poème de Bojardo, une note héroï-comique.

La Renaissance, d’ailleurs, ne croit plus trop à ce beau désintéressement des chevaliers ; et le poète ne se contente pas de dénaturer la figure de Roland, faisant, du fiancé de la belle Aude, le fol amoureux d’Angélique. Il sourit lorsqu’il nous raconte des traits héroïques, auxquels le moyen âge eût imprimé sa marque sublime. Avant Cervantès, Bojardo ne craint pas de nous montrer, comme prêt à être dupe, celui qui prétend au rôle de libérateur.

Roland trouve Morgane endormie auprès d’une fontaine et néglige de saisir le moment propice ; il répugne à ce preux de s’emparer de l’ennemi pendant le sommeil. Quand il revient, elle est toujours auprès de la fontaine, mais éveillée ; elle chante et danse, vive et légère, dit le poète, comme la feuille dont se joue le vent. Elle s’enfuit ; Roland arrive à la joindre et obtient d’elle la clé de la porte pour libérer les captifs, à la condition qu’il lui laissera le jeune et beau