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LES JARDINS FÉERIQUES DE LA RENAISSANCE ITALIENNE

n’étaient autrefois épris que de leurs épées, furent dotés d’autant de flammes amoureuses qu’il s’en alluma jamais.

N’était-ce pas une gloire nouvelle pour la passion victorieuse que de pouvoir ajouter à ses trophées le cœur héroïque de Roland ?

Les véritables héros du moyen âge apportaient à l’amour des âmes sérieuses et fidèles ; Lancelot n’eût pas toléré dans sa pensée l’ombre d’une infidélité envers Genièvre. Les paladins de Bojardo ou de l’Arioste sont les esclaves de la volupté plus que de l’amour. Roland lui-même est susceptible d’oublier par moments cette Angélique qui le rendra fou furieux, et Roger trahit plus d’une fois sa pure et vaillante fiancée Bradamante. Souvent les fées serviront à symboliser les griseries et les dangers de cette volupté.

Ferrare surtout était prédestinée à cet art épique, comme Florence au style dantesque. Il existe des alliances secrètes entre l’aspect d’une ville et le chant de ses poètes. Bojardo et l’Arioste furent les commensaux des princes de Ferrare et jetèrent sur cette ville l’éclat de leur propre gloire ; le Cieco vécut à Ferrare ; le Tasse, né à Sorrente, séjourna dans la Ferrare des ducs d’Este qui garde je ne sais quel prestige de sa mystérieuse douleur. Les rêves de Bojardo, de l’Arioste, du Tasse, semblent toujours flotter dans cette atmosphère. Jurerions-nous qu’il n’existe plus un vestige de féerie dans la ville des palais sculptés et clos, des rues larges et silencieuses, où le soleil semble faire couler un fleuve d’or ?

Au milieu des fêtes et des crimes, ses princesses nous apparaissent, lointaines et magnifiques, pres-