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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

geste ménageait aux femmes certaines louanges délicates, comme la phrase naïve de Roland se demandant avant d’agir : « Que dirait la belle Aude ? », ou comme la réflexion des fils d’Aymeri songeant que leur père eut plus de raison qu’eux d’être fort et brave, puisqu’il combattait sous les yeux de leur mère. Mais les brillantes Italiennes n’étaient point trop curieuses de ces rudes et magnifiques amours. Elles n’imaginaient pas que le sentiment de Roland à l’égard d’Aude, en s’affinant, en s’exaltant et en s’idéalisant, était devenu le culte de Dante pour Béatrice, alors que la Dame présidait, non plus aux joutes des chevaliers, mais aux combats plus merveilleux de la vie intérieure. Or, la Renaissance avait perdu le goût de la vie intérieure. Les Italiennes qui encourageaient de leur fin sourire les entreprises littéraires d’un Bojardo ou d’un Arioste différaient de celles pour qui Dante écrivait en langue vulgaire et auxquelles il reconnaissait « l’aptitude à la philosophie. » Dans ces palais de Ferrare où les œuvres de Cosmè Tura, de Lorenzo Costa, de Dosso Dossi, de Oarofalo, récréaient leurs yeux, leur esprit s’amusait à la description que Bojardo tentait d’une aurore printanière, à quelque strophe amoureuse ciselée par l’Arioste, comme une pièce rare d’orfèvrerie.

Voilà donc comment ces poètes de la Renaissance, plus cultivés que spontanés et dont la mémoire aidait l’inspiration, utilisèrent, dans leur poésie, la substance historique des chansons de geste et, en quelque sorte, la substance psychologique des romans de la Table-Ronde. Roland devint plus passionné que Lancelot, mais passionné pour une perfide, une ingrate. Ces preux, ces paladins, qui