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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

Ce vieux vers français enrichit notre rêverie de tout un trésor de poésie inconsciente. Butor l’accompagne d’une énumération des lieux faés, et je trouve le couplet exquis :

Il a des lieux faés ès marches de Champaigne,
Et aussi en a il en la Roche grisaigne,
Et si croy qu’il en a aussi en Alemaigne,
Et au bois Bersillant par-dessous la montaigne,
Et nonporquant aussi en a il en Espaigne,
Et tout cil lieu faé sont Artu de Bretaigne…

Ah ! vieux poète inconnu, que je vous aime, pour avoir trouvé ce vers qui remue profondément notre sensibilité, de sorte que, par les heures lourdes et les jours sombres, l’esprit s’allège, le cœur se rassérène dès qu’une voix murmure du fond de l’âme : « Il a des lieux faés es marches de Champaigne… »

Des lieux faés, nous en connaissons tous ; n’est-ce point ceux qui furent consacrés par l’amour, la douleur, la poésie, le génie, l’art et la beauté ?

Ceux qu’attristent des ruines ? Ceux que glorifient des légendes ? Ceux dont la grâce parle à notre rêve ou pacifie notre pensée ? Clairières fleuries, sources chantantes, collines légères… Certains nous enveloppent d’une émotion surhumaine, et, ne sachant comment la définir, nous aimons à emprunter son expression au vieux poète et à redire : il est des lieux faés…

Mais notre émoi s’attendrit et s’approfondit encore, lorsque nous songeons que, vers ces marches de Champagne, en terre lorraine, s’épanouit l’arbre des fées de Domrémy qui ombragea les premiers jeux de Jeanne d’Arc. Elle naquit nombre d’années après que le vieux poète avait chanté Brun de la Montagne. Aussi