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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

de bon cœur, mais elle devait le quitter, et lui, ne jamais la revoir ici-bas sous sa forme féminine. S’il avait su se taire, le mal eût été épargné, mais leur bonheur s’écroulait pour une parole de colère injuste et imprudente. Raimondin et Mélusine s’évanouirent tous les deux, tant était grande leur affliction ; Raimondin n’avait que faire de la proclamer « belle entre les belles, sage entre les sages, merveilleuse entre les merveilleuses ». Elle reprit sa forme de serpent et disparut par une fenêtre. Ce fut grand deuil dans tout le pays qu’elle avait comblé de ses bienfaits. Son seigneur ne la revit pas, mais plusieurs l’aperçurent, entre autres la nourrice de ses plus jeunes enfants, auprès desquels elle revenait errer le soir, son pauvre cœur de fée, que l’amour humain avait déçu et brisé, étant toujours débordant d’amour maternel[1].

Tous les récits s’accordent à représenter Mélusine comme grande bâtisseuse, sage conseillère, habile éducatrice, servant des causes chrétiennes, édifiant des églises, fondant des monastères, se montrant secourable aux croisés. Ainsi vécut dans la mémoire des hommes la très originale activité de cette fée pensive et douloureuse dont toute l’aspiration paraît se formuler en ces mots qui reviennent à la fin du livre, dans la bouche de Mélusine elle-même, après avoir été dits, au commencement, par la fée Pressine : « Vivre et mourir, comme une femme naturelle ! » Oui, sans doute, et dormir dans une sépulture chrétienne, à Notre-Dame de Lusignan, sous une de ces tombes où l’on voit reposer les effi-

  1. « Il n’est mamelle que de mère, » dit, avant Rousseau, le poème des Lusignan.