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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

mensité du plateau de l’Asie centrale ? Ou la craintive émotion qu’éprouva quelque voyageur cheminant à travers une forêt celtique, parce qu’un rayon de lune faisait, entre les feuillages, scintiller l’eau d’une petite source ? Ou l’anxiété d’un homme errant au sein d’une plaine infinie, et cherchant sa route dans les étoiles, semées comme les cailloux du Petit-Poucet ? Mais toutes ces minutes oubliées, qu’une poésie latente au fond de l’âme humaine, et jaillissant, sous l’influence de l’espoir ou de la terreur, avec la grâce des sources sauvages, a transformées en perles merveilleuses, sont allées grossir les trésors du « royaume de féerie ».

Les fées n’existent point, mais il existe chez l’homme un esprit féerique. Dans certains contes ou dans certains poèmes dont les fées sont absentes, on dirait, quand même, que les choses y sont regardées à travers un bout de leur écharpe. Le Fantasio de Musset, par exemple, est une délicieuse féerie sans fée ; la morale y est féerique, l’esprit y est féerique, et tout y devient féerique, même le voile de la princesse, que celle-ci rattache en laissant tomber une larme ; féerique, aussi et surtout, la fameuse comparaison des tulipes bleues. La tulipe bleue, à elle seule, est toute une féerie. C’est si souvent cela, la féerie ; un peu de rêve, un peu de réalité, tressés et combinés, noués d’un fil d’or ou d’un brin d’herbe, où tremble, soit une perle, soit une goutte de rosée ! La tulipe est ici la réalité, c’est le bleu qui représente le rêve.

Quand on a souffert dans les jardins où les tulipes sont jaunes et rouges, où la pourpre des roses éclate au milieu des épines, on se prend à rêver d’autres jardins où les tulipes seraient bleues et où les roses