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VOYAGE À VÉNUS

et peut-être un peu trop en sursaut. Elle se montra exaltée, violente, emphatique ; mais la foule heureuse de retrouver les plaisirs de l’intelligence dont elle avait été si longtemps sevrée, applaudit de toutes ses mains. Ce fut le règne des poëtes et particulièrement des poëtes du désespoir et de la mélancolie. Rien alors de mieux porté et de plus admiré que l’air fatal : on ne voyait dans le monde que jeunes gens au visage pâle, au regard profond sous des sourcils froncés, au front ravagé par les passions et couronné de longs cheveux éplorés. Toutefois, cette mode dura peu ; la profession était mauvaise et ne menait à rien ses adeptes. On admirait bien leurs élégies déclamatoires, on sympathisait volontiers aux passions orageuses de leur cœur, mais les héroïnes qui les inspiraient, — et qu’ils avaient grand soin de prendre parmi les plus belles, les plus nobles et les plus riches, — partageaient rarement leurs ardents transports, ou ne leur faisaient qu’un accueil platonique qui n’aboutissait jamais à une comparution devant l’écharpe municipale ; si bien que, l’âge de trente ans sonné, ces poëtes sur le retour, ces aigles commençant à perdre leurs plumes, ne trouvaient rien de mieux que de quitter les régions éthérées, pour picorer une faible pitance dans les cages du notariat, de l’administration