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VOYAGE À VÉNUS

qu’il lui faut, au contraire, c’est un esprit bien calme, bien vulgaire, et dont les rares idées laissent toute liberté à ses digestions et à son sommeil. Malheureusement ce n’est pas du tout le cas de Volfrang : l’activité fébrile de son cerveau absorbe toutes ses forces, et ses autres organes s’étiolent et dépérissent, comme les provinces d’une nation où règne une centralisation exagérée. Que de fois n’avons-nous pas surpris ses distractions incessantes au milieu de nos conversations ? Il paraît d’abord s’intéresser au sujet qu’on traite, puis, tout à coup, son âme se replie sur elle-même et s’enfonce dans un abîme de mornes rêveries. Et cela, parce qu’une phrase insignifiante, un simple mot sur lequel nous avons glissé, a fait subitement dévier son attention, de même qu’une aiguille de chemin de fer entraîne un convoi loin de sa direction primitive. À ces moments-là, sa physionomie, sur laquelle l’esprit ne se reflète plus, se glace d’immobilité, son oreille n’entend plus, et ses yeux grands ouverts ne regardent rien. Vous croyez être avec lui… pas du tout : il voyage dans le pays bleu des chimères.

— Avec de pareilles dispositions d’esprit, on devient quelquefois un homme de génie.

— Ou un fou ; et j’avoue que je crains pour sa raison. Il s’est tellement habitué à s’isoler du monde

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