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VOYAGE À VÉNUS

un théâtre spécial comme nous avons un musée pour les antiquités. Toutefois, le culte du passé ne nous fait pas négliger le souci du présent, qui est en même temps celui de l’avenir : nous entourons de notre sollicitude la plus vigilante la littérature contemporaine, et tous nos efforts tendent à préserver le goût public des œuvres qui s’adressent aux sens, persuadés que nous sommes qu’elles le dépravent profondément, de même que l’abus des épices et des liqueurs fortes émousse la délicatesse du palais. Les émotions physiques ont cela de malheureux qu’elles en appellent toujours de plus vives. Vous en avez vu un lamentable exemple dans cette histoire de l’empire romain que vous m’avez contée : aux poésies libertines succédèrent les satires obscènes, puis ces lectures ardentes ne suffirent plus, on voulut des réalités, et l’on délaissa les bibliothèques et les théâtres pour les violentes excitations de l’orgie ou les cruelles voluptés des combats de gladiateurs. Descendu à ce degré d’abaissement, un peuple a perdu, sans retour, non seulement toute notion d’art et de littérature, mais il s’est perdu lui-même parce qu’au souffle empesté du matérialisme, s’éteignent bientôt la conscience du devoir, le sentiment religieux, les douces affections de famille, base de la société, le courage, le