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VOYAGE À VÉNUS

« Heureux les morts ! s’ils pouvaient hélas ! connaître leur bonheur. Le tort qu’on pardonne le moins à un auteur, c’est d’être vivant. Tant qu’il respire, on l’accable de critiques, on le décourage à force d’entraves, on le laisse en proie à la détresse, et chacun lui dit avec raison :

 

Soyez plutôt maçon, c’est un meilleur métier.

 

« Mais sitôt qu’il n’est plus, tout change comme par miracle : on le comble d’éloges dès qu’il ne peut plus les lire ni les entendre, on proclame son génie, les panégyriques s’épanchent sur son cercueil avec l’abondance d’un torrent longtemps contenu, et un tombeau splendide loge le pauvre diable qui s’est éteint dans une mansarde. On publie, on représente ses œuvres, et le public s’empresse de les acheter et de les applaudir, car il partage toute l’ardeur de ces enthousiasmes posthumes. Autant, pour montrer son sens critique, il s’attache à trouver des défauts aux œuvres d’un contemporain, autant, en revanche, il s’évertue à découvrir des merveilles dans celles de l’écrivain qui n’est plus, et souvent alors la prévention lui fait applaudir des beautés problématiques, comme elle lui avait fait blâmer des défauts imaginaires.