Page:Eyraud - Voyage à Vénus.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
VOYAGE À VÉNUS

— Eh bien ! répliquai-je, nous en sommes à l’automne… je dirai presque à l’hiver. La poésie ne captive plus l’attention publique. Un poëte d’un de ces grands siècles dont je vous ai parlé, disait :

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme.

« Aujourd’hui, un sonnet sans défaut est aussi sans lecteur, et encore plus un long poëme. Les prospectus financiers et les rapports de Conseils de surveillance ont bien plus de succès. Le printemps est passé : auteurs et public ont perdu la foi poétique. Il n’y a guère de poëtes, à vrai dire, mais des gens qui font de la poésie, qui versifient plutôt par fantaisie d’artiste que par inspiration, et sont des ciseleurs de phrases plutôt que des semeurs d’idées. Beaucoup ne se distinguent des prosateurs que par une sorte de jargon de convention, d’après lequel on dit : l’onde pour l’eau, les lambris pour le plafond, le coursier pour le cheval, la lèvre pour la bouche, l’azur pour le ciel etc. Ils divisent le tout en tranches de douze syllabes, rimant par le bout, publient cela en un joli volume sur papier satiné, laissent croître de longs cheveux, et se croient de grands génies. Presque toujours, ils s’attachent à rendre la poésie matériellement riche et brillante

6