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Firmin fut comme atterré par la nouvelle que venait de lui annoncer Jérémie. Il eût besoin d’un violent effort pour ne pas se trahir devant l’émotion qu’il éprouvait.

— Elle épouse, continua l’économe, un charpentier du bourg, Huron, un beau métis, un brave garçon libre bien entendu, et…

— Merci !… interrompit Firmin, des renseignements que vous m’avez donnés et des recommandations que vous m’avez faites. Vous avez raison, la chose est, en effet, assez grave pour que je m’abstienne de prononcer devant votre fille le nom de M. de Lansac.

Sur ces mots, Jérémie rentra dans la case avec Firmin, prit sa rigoise (forte cravache), sans laquelle il ne marchait jamais, se dirigea vers le point où l’atelier était au travail, et d’où la brise du matin rapportait un chœur de chants joyeux, entrecoupés de temps à autre par le sifflement du fouet du commandeur.

Firmin, après la sortie de l’économe, se laissa tomber sur une chaise, le visage pâle et baigné de pleurs. Il demeura un moment comme anéanti ; son esprit était en grande confusion. Sa première pensée fut d’accuser Madeleine ; mais de quoi était coupable la pauvre enfant ? Elle obéissait à sa destinée, elle accomplissait sa vie ; il la plaignit au contraire. Le jeune créole envisagea toute l’étendue de son propre malheur. Il venait de recevoir en pleine poitrine le coup le plus violent qui pût lui être réservé. Le meilleur parti qui lui restait à prendre était de s’enfuir au plus vite, de gagner son habitation, d’oublier, s’il le pouvait jamais, ce rêve qu’il était parvenu déjà à effacer de son cœur pendant quelques jours.

Firmin se leva donc, essuya les larmes qui sillonnaient ses joues et s’apprêta à sortir. Mais, au moment où il allait franchir le seuil, Madeleine apparut, se dirigeant d’un