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Le pauvre Bill ayant ensuite, contre toute attente, donné de nouveaux signes de vie, un homme de couleur nommé Rex, le prenant par le bras, se disposait à l’amener chez lui, lorsque les Virginiens, avisés de la résurrection du mulâtre fugitif, revinrent le pistolet au point, menaçant de tuer quiconque tenterait de leur dérober leur proie.

Cette menace écarta la foule, et Bill se vit prêt à tomber entre les mains de ses ennemis. Quoique sérieusement blessé, à peine remis de son émotion, à bout de ses forces, le malheureux n’hésita pas à se jeter de nouveau dans la rivière, et il chercha un refuge dans les petites îles boisées qui flottaient comme des corbeilles à l’ancre sur ces eaux rougies du sang d’un homme dont le crime était de courir après sa liberté.

Les cinq chasseurs d’esclaves, que la résistance de Bill exaspérait, apportaient à cette conquête du fugitif l’âpre énergie de la difficulté vaincue. Disséminés sur les deux rives, le fusil à l’épaule, l’œil aux aguets, ils cherchaient à apercevoir à travers les broussailles des petites îles le refuge de l’esclave.

L’un d’eux s’apprêtait à détacher du bord un canot pour explorer le fleuve, lorsque Bill, se montrant à l’extrémité de l’île où il s’était blotti, lui cria avec l’exaltation du désespoir :

— Viens, si tu l’oses ! mais je jure que nous trouverons tous les deux la mort au fond de la rivière.

Cette scène émouvante durait depuis deux heures environ ; la foule s’était de nouveau amassée ; un frémissement d’indignation courut parmi les témoins de cette horrible chasse à l’homme ; le courage revint aux plus timides. La justice de Wilkesbarre, jusqu’alors insensible devant cette monstrueuse tragédie que son impassibilité semblait encourager, intervint, et le juge Collin somma les chasseurs de se retirer.