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rendu dans l’appartement de sa femme, et de crainte qu’elle ne prît soupçon de son visage soucieux, il s’était arrangé, pour l’interroger sur sa sortie du soir, le front le plus paternel et le regard le plus caressant du monde. À ses questions, Antonia répondit simplement qu’elle était allée d’abord à l’église, de là en pèlerinage à la Croix du Pêcheur, et enfin qu’elle s’était reposée chez sa nourrice, dont elle avait dévalisé le jardin et le potager, ajoutait-elle en souriant. Le marquis Daguilla ne fit pas la moindre objection. Quand il fut sorti :

— Tu vois bien, nourrice, dit Antonia à Joséfa, qu’il ne se doute de rien… Lui, le plus jaloux des maris, aurait-il gardé ce calme et ce sourire ?… Tu iras demain à l’église, et diras à André que je l’attends le soir.

— Chez moi ? demanda la nourrice.

— Non ; à la Magnificencia.

La Magnificencia était un magnifique jardin, un parc de fleurs, pour mieux dire, que la marquise possédait à quelque distance de la Havane, et où son mari lui permettait d’aller respirer l’air plutôt que sur le paseo.

À peine M. Daguilla eut-il quitté sa femme que Isturitz pénétrait secrètement jusqu’à lui ; après un échange de quelques mots grassement payés, le marquis congédia le bandit en lui recommandant bonne surveillance. Le lendemain, Daguilla entra de grand matin chez Antonia.

— Je viens de recevoir, lui dit-il, un message de ma sucrerie de la Felicitade ; mon mayoral m’annonce que le feu a dévoré trois pièces de cannes ; il importe donc que je me rende immédiatement à Felicitade. Vous serez raisonnable pendant mon absence, Antonia, et vous penserez à moi, n’est-ce pas ? Nourrice, continua-t-il en s’adressant à Joséfa, je vous la recommande bien.

— Tu vois, s’écria la marquise quand son mari fût parti, tu vois qu’il ne sait rien. Tobine était sotte ou folle…