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sur la bouche de Joséfa ; tais-toi, maîtresse pourrait entendre…

— Antonia ? murmura Joséfa stupéfaite.

— Oui, maîtresse, reprit l’esclave à voix basse, car elle est ici, je le sais ; car ce soir, elle a reçu M. de Laverdant, pendant que moi je pleurais à la porte, de rage et de jalousie.

— Bon Dieu du ciel ! s’écria la nourrice en se laissant tomber sur un siége, nous sommes perdues !

— Et pourquoi ? répliqua Tobine. Parce que je sais que madame a, ce soir, donné un rendez-vous à M. André, parce que je sais qu’il est venu ici, parce que je l’ai vu sortir tout à l’heure accompagné par toi ! Perdues ? oui, vous le seriez toutes les deux, si c’était une autre que moi qui fût en possession de ce terrible secret ; oui, si Madame n’était ma sœur de lait, si je ne la chérissais pas comme si la même mère nous eût donné le jour à toutes les deux. Et pourquoi veux-tu donc que ce soit Tobine qui vous perde !… Je vous sauverai plutôt s’il le faut…

À ces mots, la porte de la pièce voisine s’ouvrit, et Antonia parut, pâle et émue. Tobine, involontairement, fit un bond en arrière. Ce n’est jamais impunément qu’une femme se trouve en face d’une rivale heureuse. Antonia s’avança vers la jeune mulâtresse et, lui prenant les deux mains, elle oublia sa dignité de femme blanche et de maîtresse jusqu’à l’embrasser. Puis, après un moment de silence, elle lui dit :

— J’ai tout entendu, Tobine ; tu m’aimes, tu m’es dévouée, n’est-ce pas ? Oh ! tu garderas bien au fond de ton cœur ce fatal secret.

— Il mourra avec moi, maîtresse, répondit la mulâtresse ; mais, au nom du ciel ! s’écria-t-elle en tombant aux genoux d’Antonia, dites-moi si vous l’aimez réellement.