Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II


Un soir de l’année 1820, après une forte bourrasque qui, pendant trois jours, avait soufflé du nord-ouest, on pouvait voir, à deux milles au large de la Basse-Pointe, une pirogue armée, de six vigoureux nègres nus jusqu’à la ceinture. Les plus habiles manœuvriers eussent admiré les héroïques efforts, le courage et la précision avec lesquels ces nègres conduisaient leur embarcation pour se ménager un accostage devant le débarcadère du bourg. Mais, tout à coup, la lame creusa tellement de chaque côté du canot que les avirons rencontrèrent le vide ; avant que les nages-rameurs aient eu le temps de reprendre leur équilibre, la pirogue fut ramassée par le travers, roulée dans les replis de la vague, submergée ; elle alla ensuite piquer du nez dans le sable du rivage où elle s’enfonça jusqu’aux trois quarts, comme si une fosse y eût été creusée à l’avance pour la recevoir. La portion qui sortait du sable fut emportée en deux coups de mer. Des six nègres qui montaient la pirogue, pas un seul ne reparut ; mais du milieu d’une lame, dans cet intervalle où « la mer prend haleine, » une septième personne qui se trouvait à bord apparut, tentant un suprême effort pour gagner le rivage où elle fut miraculeusement jetée saine et sauve.

— Béni soit Dieu ! murmura le naufragé.

Et regardant autour de lui, il aperçut l’arrière brisé de la pirogue qu’une lame remportait à sa cime élevée, comme une dépouille triomphale.

— Les malheureux, ajouta-t-il, ils ont péri à coup sûr !