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naissance, à considérer les esclaves comme des animaux, la plus sanglante injure qui ait jamais été faite à l’humanité.

La promiscuité chez les nègres est donc tolérée dans l’intérieur des maisons comme un fait sans conséquence et sans influence possible sur les principes et les idées des jeunes filles blanches, aux yeux de qui on ne s’occupe même pas de dérober le spectacle des nègres courant les rues à peine vêtus. Il semble convenu que ces jeunes filles ont toute prête sur les lèvres la réplique de Dorine à Tartufe.

Aussi les nègres profitent-ils de cette extrême indifférence qu’ils inspirent, pour ne se vêtir que le plus strictement possible. Il n’en est pas de même des femmes qui font des miracles d’habileté dans leurs toilettes pour concilier une extrême pudeur avec l’étalage le plus coquet de leurs formes. Ce sentiment de pudeur est tellement instinctif chez elles (plus particulièrement chez les femmes de couleur que chez les négresses), qu’elles ne se mettent jamais nues, même dans le mystère le plus sûr, même dans les ténèbres. Cela est tellement spécial aux femmes et si peu dans l’instinct des hommes, qu’un nègre à qui on reprochait un jour sa nudité, répondit très-naïvement : « Qu’est-ce que cela me fait à moi ? je ne suis pas une négresse. »

Manette fit passer dans l’âme d’Ovide (c’était le nom du mulâtre) tout le venin de sa haine, et l’enflamma de ses projets. Ovide, fasciné par la cabresse, accepta l’héritage qu’elle lui légua, et fit le serment d’accomplir la vengeance qu’elle avait méditée.

Le cœur de Manette fut soulagé par le dévouement et l’obéissance qu’elle rencontra dans son complice ; et elle partit sans regret pour l’habitation du marquis de Surgy, située à trois lieues environ du Fort-Royal, sur un des