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maître ; il le reconnaissait formellement, même en son langage. Jusque dans ses tentatives d’affranchissement ou de libération par la fuite, il le constatait encore. Ainsi, dans ce cas, il ne manquait jamais de dire qu’il volait son corps au maître.

Constant, en demandant à louer son corps, offrait à madame Mongenis l’occasion de tirer parti de lui au moyen d’une industrie quelquefois fort lucrative au maître et à l’esclave en même temps. Cette industrie consistait en une convention passée entre le maître et l’esclave qui garantissait un apport mensuel, hebdomadaire ou quotidien de tant, le surplus de son gain lui restant comme un bien acquis. Presque tous les esclaves des villes, exerçant un état professionnel, inutiles dans les maisons où le nombre des domestiques excédait toujours les besoins du service, pratiquaient ce système. Pour les mauvais sujets, c’était une occasion de se livrer à leurs habitudes vicieuses en toute liberté ; les laborieux y amassaient le pécule nécessaire à racheter leur corps. Ainsi mis en location, le nègre recevait de son maître un permis de circulation ; il logeait où il voulait, vivait comme il l’entendait, et se présentait — ou ne se présentait pas — aux échéances du payement pour acquitter le prix convenu de sa location.

Ces conventions se concluaient aussi bien avec les femmes qu’avec les hommes. Mais comme il était très-difficile de définir exactement tous les métiers que peuvent exercer les premières, il est arrivé, dans bien des cas, que la prostitution, — même ouvertement pratiquée, sous le manteau d’une profession quelconque, — ait fourni l’argent nécessaire pour exécuter les termes du traité… Je n’entends pas dire que tous les maîtres aient spéculé sur cet argent impur ; mais la prostitution est si bien l’état normal des femmes de la race noire dans toute l’Amérique, qu’on n’y montre pas de grands scrupules sur ce chapitre délicat.