Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

casion pour quelques nègres de montrer un éclatant dévouement à ces victimes du sort. Déjà on a pu le pressentir par rattachement de ces femmes qui, libres, s’exilent volontairement dans les déserts du pays, consacrant leur vie à de malheureux ivrognes oisifs. L’épisode que je vais raconter est une preuve saisissante des hauts sentiments dont est susceptible la race noire, en même temps qu’il va montrer le caractère de cette race sous un de ses aspects les plus étranges, mélange d’affection, de noblesse, d’atrocité, de lâcheté, — cette fois dans le même individu.

Je n’invente rien dans ce récit, je rapporte un fait connu de tout le monde dans nos colonies.


II


À une lieue à peine de la principale ville d’une de nos Antilles, dans une maison jadis fort belle, alors tombée en masure, s’était retirée madame Mongenis, une sexagénaire à qui la fortune avait tourné le dos tout à coup en 1825, — date si fatale aux colons.

Déjà, quelques années auparavant, les prodigalités et l’imprévoyance de son mari avaient mis cette pauvre femme à deux doigts de sa ruine ; mais elle avait pris, avec un courage tout viril, le gouvernement de ses biens ; il s’en fallait de peu qu’elle n’eût rétabli l’équilibre de sa fortune, lorsqu’une de ces tempêtes, comme il s’en élève parfois à l’entrée des ports pour déjouer les plus heureuses et les plus habiles manœuvres, lui avait fait faire ce naufrage, d’où elle ne sauva que sa personne, pour la livrer à une pauvreté voisine de la misère.