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— Je vous disais donc, reprit l’habitant, que je croyais savoir la cause de ces empoisonnements. Comme d’habitude, elle est bien futile en apparence. J’ai renvoyé dernièrement mon économe pour prendre à mon service celui de l’habitation voisine. Le commandeur me fit observer que c’était, selon son expression, une mauvaise affaire. Cet homme est très-doux, cependant, très-humain et fort intelligent. Que peuvent-ils lui reprocher ? vous le savez, s’il fallait écouter toutes les réclamations et toutes les plaintes, on serait l’esclave de ses nègres ; on l’est déjà bien assez sans cela ! Je sermonnai mon commandeur de mon mieux et le renvoyai convaincu. Je comptais sur l’affection de mes nègres pour qu’ils eussent pleine confiance en moi ; je me suis trompé, voilà tout. Et encore dois-je les accuser ? Peut-être est-ce de l’habitation même d’où sort cet économe qu’est parti le coup, car on se perd dans ce mystérieux jeu du poison, où tout est ténèbres…

— En supposant que les nègres voisins en voulussent à ce malheureux économe, objecta l’européen, comment admettre, puisqu’il les avait quittés, que leur haine soit retombée sur vous ?

— Oh ! ce n’est pas moi qu’ils ont cru frapper, mais lui seul…

— Comment ?

— Ils ont pensé que du moment où je verrais les désastres causés sur mon habitation par la présence de cet homme, je me hâterais de le renvoyer, et qu’il se trouverait ainsi sans place. Ils avaient calculé qu’il m’en coûterait un ou deux mulets, et que ce premier avertissement me donnerait l’éveil ;… c’était se venger à bon marché… Je n’ai pas tenu compte de la leçon, j’en suis rudement puni !

— Et persistez-vous à garder cet économe ?

— Oh ! non, j’ai remercié ce pauvre diable ce matin. Je