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d’entreprendre un voyage d’une année en France. Ces nègres, fort attachés à leur maître, montrèrent tout d’abord un très-vif et très-sincère chagrin ; puis ils tinrent conseil et déclarèrent qu’il n’y avait à cette absence aucune cause légitime. Ils cherchaient le moyen de l’empêcher, lorsqu’un des meilleurs esclaves de l’atelier s’écria :

— Rentrez tranquillement dans vos cases, je vous garantis que notre maître ne partira pas.

Aucun de ses camarades ne s’avisa de questionner le nègre sur son secret ; on se borna à le soupçonner, mais sans que personne eut l’idée de contrecarrer ce projet odieux.

Dès le lendemain, une dizaine de chevaux moururent, puis vint le tour des mulets, puis des bœufs, puis des moutons ; c’était la ruine qui menaçait.

Le départ pour la France devint impossible ; l’habitant y renonça donc. Le poison cessa.

La mal fut réparé. Cependant, au bout d’un an, le projet de voyage ayant été repris, le poison recommença avec la même intensité. Cette fois le coupable fut découvert. Comme l’habitant indigné faisait à ce nègre de violents reproches sur ce qu’il croyait pouvoir appeler son ingratitude :

— Non, maître, répondit l’esclave, ce n’est pas cela ! Nous éprouvions trop de chagrin de votre départ, nous ne pouvions nous résoudre à vous voir nous quitter ; nous avons donc dû chercher le moyen de vous retenir près de nous : celui que j’ai trouvé était bien le meilleur, puisqu’il vous a retiré la possibilité d’effectuer votre voyage.

En parlant ainsi, ce nègre ne cherchait point une vaine excuse ; il disait la vérité, il parlait bien selon sa conscience.