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de l’étang qui le bordait, avait attiré de ce côté un groupe d’esclaves qui avaient eu le temps d’échanger quelques mots avec les porteurs, et de leur expliquer rapidement la cause du grand brouhaha qui régnait sur l’habitation.

— Est-ce une raison, avait murmuré avec une superbe insolence la jeune créole, parce qu’une fille de couleur disparaît de sa maison, pour qu’on ne me serve pas tout de suite ? Eh, mon Dieu ! elle se sera fait enlever, n’est-ce pas l’habitude et le sort de ces créatures-là !…

Ces mots, exactement créoles, peignent, dans toute leur vérité, l’opinion courante et le dédain de la race blanche à l’endroit des femmes de couleur.

Madame de Mortagne, c’était elle, s’assit frémissante d’impatience, et son petit pied battait la terre de colère. Mais les paroles qu’elle venait de prononcer avaient été entendues par Firmin, qui, retiré dans le fond de la galerie, attendait le résultat des recherches auxquelles se livraient les nègres de l’habitation, avec ce dévouement enthousiaste qui les caractérise dans leur amour pour certaines personnes.

— Ce serait mal en toutes circonstances, Madame, ce que vous venez de dire là ; en celle-ci, c’est odieux et criminel.

Madame de Mortagne fut frappée de la pâleur de Firmin, et son langage ne l’étonna pas moins.

— Oui, Madame, reprit le jeune homme, c’est odieux et criminel ; car cette jeune fille, pour laquelle tant de cœurs sont émus en ce moment, sans compter le mien, est la future comtesse de Lansac.

— Une mulâtresse ! allons donc !

— Et votre nièce, Madame, l’enfant de votre sœur.

Madame de Mortagne devint blanche comme les dentelles qui flottaient à ses manches. Elle se dressa l’œil en feu, et d’une voix frémissante :