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je rends ainsi l’honneur à une famille de ma caste, une famille à laquelle j’appartiens d’ailleurs. Qui sait si cette épouvantable vérité que m’a confessée Jérémie n’est pas soupçonnée ici ? Endormie dans quelque mémoire, elle peut se réveiller d’un moment à l’autre, sous le moindre prétexte, terrible comme une vengeance. Étouffons-la à l’avance. On pourra bien gloser de ce que j’épouse une bâtarde ; mais personne n’osera murmurer que le comte de Lansac ait pris pour sa femme la fille d’un mulâtre.

Jérémie suivait d’un œil hébété et ahuri l’agitation de Firmin dont il ne cherchait même pas à saisir la cause. Le jeune créole s’arrêta devant lui :

— Appelez, cherchez, trouvez Madeleine, dit-il ; son absence m’inquiète. Je vous attends ici tous les deux. À tous les deux, je vous dois un aveu, comme je prétends, de votre part, à un serment solennel d’où dépend mon bonheur et celui de Madeleine.

Jérémie sortit en se dirigeant du côté de l’hôpital, où il savait que sa fille faisait souvent de pieuses et bienfaisantes visites.

Les scènes que nous venons de raconter se passaient à l’heure de midi, moment de repos pour les nègres, habituellement retirés tous dans leurs cases, où on les pouvait trouver couchés et endormis sur le seuil de la porte ou bien accroupis dans un coin et fumant.

Pendant cette halte dans le travail, le plus grand silence et le plus grand calme règnent sur une habitation, Pas une ombre n’erre ni autour des maisons, ni sur la savane, ni aux champs. C’est comme une nuit en plein jour. Ces chants joyeux, ce bruit du fouet qui déchirait l’air, et quelquefois aussi l’épiderme, ce va-et-vient incessant d’hommes, de femmes, d’enfants, de mulets, de bœufs, de chevaux, tout ce tumulte enfin d’une grande et vaste exploitation qui, dix minutes auparavant, emplis-