Page:Exposition internationale d’art moderne, 26 décembre 1920 - 25 janvier 1921.djvu/7

Cette page n’a pas encore été corrigée
5

cœurs de tous les siècles, de tous les peuples, de tous les individus. Cependant cette symphonie ne garde et ne conservera sa saveur et sa puissance que si chaque siècle, chaque peuple, chaque individu s’exprime selon sa pureté, et ne retrouve tout des hommes et du monde que dans la réalité le plus saignante, la plus concrète, la moins adultérée de son esprit. Un langage volontairement international, abstrait, conventionnel, idéographique, tomberait en quelques années dans l’immobilité et la stupeur.

Même si l’unité nouvelle de l’esprit était ici réalisée — et elle est loin de l’être, et c’est le mal, mais aussi la sainteté de notre temps qu’elle ne le soit pas encore, — on chercherait donc en vain, et par bonheur, l’uniformité du langage. Une vaste agitation remue les sources de l’esprit, Tant qu’un accord social intérieur, poussant du dedans au dehors ses organes ne sera pas réalisé, la cathédrale attendue ne montera pas sur les villes. Cependant, un sentiment presque unanime entretient cette agitation. La peinture française, depuis cinquante ans, grâce à l’impressionnisme d’abord, au néo-impressionnisme ensuite — qui déjà cherchait, par ses constructions chromatiques, à rebâtir — avait dissocié les vieux rythmes pour préparer, en nettoyant l’œil et l’esprit de la forme, du ton, du sujet d’école et de musée, un renouvellement radical. C’est encore autour d’elle, et du jour où l’art européen s’est aperçu qu’au sein même de l’impressionnisme un mouvement de réédification était né de la volonté de Cézanne et de l’amour de Renoir, qu’un besoin nouveau et impérieux d’ordonner les sensations visuelles a très vite — trop vite peut-être — organisé les symboles schématiques de la forme monumentale qu’il espérait reconquérir. Le danger, je l’ai fait entendre, est qu’on installe cette forme dans le domaine de l’abstrait. Mais tout geste viril d’imagination et de pensée comporte des risques, et celui-là d’abord. La rançon du génie est de recréer des esclaves en libérant quelques esprits. Nul n’y peut rien, la vie en formation broie des vies et laisse après elle une longue trace de sang, Quand on le sait, on peut commencer à prétendre à la dignité de la vivre.

Il est donc possible que parmi cette foule ardente d’artistes de tous les pays qui veulent la saisir dans les périls de la conquête, il y ait quelques pédants et même quelques faux prophètes, quelques sycophantes, quelques démagogues