Page:Exposition internationale d’art moderne, 26 décembre 1920 - 25 janvier 1921.djvu/6

Cette page n’a pas encore été corrigée

dictoires qui constituent l’harmonie déchirante dont l’ensemble de notre vie est le théâtre permanent. On peut se demander si la langue plastique n’est pas la plus universelle des expressions par lesquelles il tente d’organiser chez tous les peuples de la terre, parlassent-ils mille idiomes impénétrables les uns aux autres, cet ordre sans cesse brisé et sans cesse renaissant qui est le plus constant et le plus haut besoin de l’âme. C’est probable, puisque chez tous les peuples de la terre, quelques hommes la parlent et l’entendent, et s’entendent, grâce à elle, sans l’intermédiaire humiliant d’un interprète ou d’un traducteur. Et c’est là ce qui donne leur sens à ces rencontres émouvantes où un accord mystérieux s’établit au-dessus des souffrances et des luttes silencieuses que toutes les formes d’art comportent, surtout quand un grand nombre d’hommes y confrontent leurs désirs.

Cet accord n’apparaît pas du premier coup, surtout en un temps comme le nôtre où l’ordre religieux n’existe plus, où l’ordre politique ne s’appuie que sur des intérêts particuliers et des formules caduques, où l’ordre social est menacé d’un bouleversement profond. L’anarchie règne dans les expressions de la sensibilité et de l’enthousiasme de l’homme, aussi haut que soit cet enthousiasme, aussi frémissante que soit cette sensibilité. Je sais bien qu’il est nécessaire, pour juger un mouvement dans son ensemble, de le contempler d’assez loin, comme on regarde un édifice pour apprécier ses proportions. Je sais bien que le « recul du temps » que je prenais jadis pour une excuse pitoyable du faible n’osant pas choisir devient, dès qu’il s’agit non plus d’aimer, mais de mesurer les efforts d’une même époque, le recours du sage contre les entraînements de la mode et de l’opinion. Je sais que les différences d’individu à individu, de province à province, de nation à nation, de race à race même s’atténuent à mesure que l’œuvre s’éloigne et que l’avenir y découvre des préoccupations communes, des souffrances communes, des joies communes, des façons de sentir et de comprendre communes, en un mot des rythmes communs. Je sais même — et c’est en cela que la langue des formes est si nécessaire à l’homme de toujours et de partout — qu’au fond de ces polyphonies au premier abord discordantes qui caractérisent les siècles, les peuples, les individus, les passages secrets d’une symphonie gigantesque qui s’appelle peut-être Dieu unissent invisiblement les