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Cette méthode part d’un principe tout à fait erroné. Elle serait déjà fort critiquable, s’il s’agissait en effet de construire, d’édifier quelque chose. Pour apprendre à quelqu’un à fabriquer une machine, une bicyclette par exemple, il vaudrait mieux lui donner d’abord une idée de l’ensemble, que de lui présenter les différentes parties démontées, et de lui apprendre successivement à faire les vis, les écrous, les pédales, les rayons, puis à assembler le tout. Mais en fait il n’y a aucune analogie entre l’acquisition d’une langue et la construction d’une machine. La machine existe, c’est la parole humaine, ou si on veut, la faculté (physique et intellectuelle) de parler; il s’agit simplement d’apprendre à s’en servir d’une manière déterminée. Ce n’est pas une construction qu’il faut exécuter, c’est une habitude active qu’il faut acquérir. Pour reprendre la comparaison de la bicyclette, notre élève se trouve dans la position d’un homme qui possède une bicyclette, mais qui ne sait pas s’en servir. Lui donnerons-nous, Lui donnerons-nous, successivement, une série de leçons sur l’activité du cycliste comparée à celle du marcheur, sur le mouvement des pédales, le mécanisme du guidon, la manœuvre du frein? Non certes; nous lui montrerons comment font ceux qui savent monter, en dirigeant son observation sur les points importants; et nous l’aiderons à imiter, en lui évitant d’abord les difficultés, en guidant son imitation, en la corrigeant quand elle est défectueuse.


L’imitation, c’est là en effet le secret ouvert de la bonne acquisition d’une langue. C’est par l’imitation—l’imitation naturelle, spontanée, irréfléchie que le petit enfant apprend sa langue maternelle, sans fatigue, sans effort pénible, sans travail intellectuel exagéré. Il peut même en apprendre plusieurs simultanément. Bien des enfants apprennent en même temps, soit le breton et le français, soit le basque et l’espagnol, soit le gallois et l’anglais, soit le suédois et le finnois, soit l’arménien et le turc; il ne paraît pas que leur intelligence en soit surchargée; au contraire, ces enfants bilingues se montrent souvent plus intelligents que d’autres.

C’est aussi l’imitation, non la construction, qui doit être la base d’une méthode rationnelle pour l’acquisition d’une langue étrangère, quand il s’agit, non plus d’un bébé qui ne sait pas encore parler, mais d’un enfant qui possède déjà une langue et doit en apprendre une autre. Tous ceux qui veulent réformer l’enseignement sont d’accord là-dessus; et tous pensent que l’imitation dont il s’agit doit ressembler, dans ses grands traits, à l’imitation spontanée du bébé. C’est là en effet, notre modèle tout indiqué: le simple fait que le bébé apprend sa langue et peut en apprendre plusieurs, nous montre qu’il possède une bonne méthode, et que nous ferons bien de le prendre pour guide.

Extrait de P. Passy, Méthode directe.

Imprimerie de B. G. Teubner, Leipzig.