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Le sixième jour après notre départ de Nan-hioung, le Tigre avait cessé de rouler ses eaux bleuâtres à travers les montagnes, et nous entrions dans une vaste plaine richement cultivée. De temps en temps nous sentions dans les airs des émanations fortes et vivifiantes qui semblaient nous dilater la poitrine. C’était l’odeur de la mer ; Canton n’était pas éloigné. Debout, immobile sur le pont de la jonque, les yeux fixés en avant avec anxiété, nous éprouvions déjà ces légers frissons qui précèdent toujours les fortes émotions du retour, après une longue absence. Les derniers rayons du soleil achevaient de s’éteindre à l’horizon, lorsque nous aperçûmes comme une immense forêt dépouillée de feuillage et de branches, et ne conservant que le tronc de ses grands arbres. Le courant, la brise et la marée nous poussaient avec rapidité dans la rade de Canton. Parmi ces mâts innombrables de jonques chinoises, nous en remarquâmes quelques-unes plus élevées que les autres. La structure particulière de leurs vergues nous fit éprouver un subit tressaillement, et nos yeux se mouillèrent de larmes. Bientôt nous vîmes se dessiner, au milieu des barques cantonnaises, les formes grandioses et imposantes d’un bateau à vapeur et de plusieurs navires de la compagnie des Indes. Parmi les banderoles de toutes couleurs qui s’agitaient dans les airs, nous distinguâmes les pavillons des États-Unis, de l’Angleterre et du Portugal… Celui de la France n’y était pas ! Mais, quand on se trouve aux extrémités du monde, sur une terre inhospitalière, en Chine enfin, il semble que tous les peuples de l’Occident ne forment qu’une seule et grande famille.