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table ; mais sa figure s’allongea piteusement quand il vit de quoi se composait le festin que nous envoyait le préfet. Une grande gamelle de riz cuit à l’eau placée entre deux petites assiettes, dont l’une contenait des morceaux de poisson salé et l’autre quelques tranches de lard, voilà quel était le service ; en vérité, ce préfet de Hanyang abusait du privilége qu’il croyait avoir de se moquer de nous. Maître Ting se leva bondissant de colère, et menaça de dévorer le pauvre domestique qui nous avait apporté, dans son panier, cette déplorable mystification. Nous eûmes besoin de toute notre influence pour le calmer, et lui faire comprendre qu’il n’était pas raisonnable d’imputer à ce brave homme le lard et le poisson salé qui se trouvaient sur la table. Notre amour-propre se trouva tellement froissé et humilié, que nous déraillâmes complètement de la ligne que nous avions résolu de suivre dans nos rapports avec les mandarins ; cédant à un puéril sentiment de fierté, nous dîmes avec calme au domestique du préfet de reporter ces mets à son maître, et de le remercier de sa généreuse obligeance ; en même temps nous priâmes maître Ting d’aller commander au restaurant le plus rapproché un souper convenable, parce que nous entendions vivre à nos frais à Han-yang.

Le majordome du préfet emporta la gamelle avec ses accessoires, et peu de temps après nous faisions à nos mandarins d’escorte les honneurs d’un magnifique souper qui nous coûta deux onces d’argent. Il nous sembla, sur le moment, que nous venions d’agir avec une dignité incomparable, et que nous nous étions majestueusement tirés de ce mauvais pas. L’amour-propre nous aveuglait el nous empêchait de voir qu’au bout du compte nous