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jonque, allant tout à la fois au roulis et au tangage, gémissait et craquait de toute part. Quelquefois elle était comme soulevée au-dessus des eaux, puis lourdement précipitée dans les vagues. Il nous arrivait de brusques et violentes rafales causées par l’inégalité du rivage, qui tantôt nous masquait en partie le vent et tantôt nous l’envoyait par de furieuses bouffées. Ces accidents nous mettaient à deux doigts de notre perte ; car la barque, se penchant tout à coup sur ses flancs, s’agitait et se trémoussait comme pour se creuser un tombeau dans les vagues. La position était des plus critiques ; le danger venait surtout du peu de solidité de la jonque. Toutes celles qu’on rencontre sur les fleuves, sont, en général, d’une construction qui laisse beaucoup à désirer ; pour ce qui est des matelots, ils paraissaient fort tranquilles. Nous aimâmes mieux attribuer ce calme à leur expérience de la navigation qu’à l’indifférence.

Pendant que nous voguions ainsi, à la merci des vents et des flots et à la garde de Dieu, nos mandarins s’étaient fièrement réfugiés dans une étroite cabine, où ils se tenaient blottis sans oser se remuer. Nous ne remarquâmes pas du tout sur la figure des deux militaires cette dignité hautaine qui leur est recommandée au moment du danger. Pour maître Ting, qu’il ne fût pas hautain, c’était pardonnable, sa qualité de lettré lui donnait le droit d’avoir peur. Le mal de mer avait gagné tous nos conducteurs, et ils croyaient tous qu’ils allaient mourir. Cette maladie leur était inconnue ; car c’était pour la première fois qu’ils la ressentaient, et jamais ils n’en avaient entendu parler. Nous eûmes beau leur dire que c’était une incommodité passagère occasionnée par le