Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solûment ce dernier parti, parce que nous n’étions pas du tout résignés à voir notre long pèlerinage aboutir, sans profit, à une fosse derrière les remparts de quelque ville chinoise[1]. Évidemment ce n’eût pas été là le martyre après lequel soupirent les missionnaires.

En premier lieu nous eûmes à soutenir de longues et vives discussions avec le principal mandarin de Ta-tsien-lou[2], qui ne voulait pas consentir à nous faire continuer notre route en palanquin. Il dut pourtant en passer par là, car nous ne pouvions pas même supporter l’idée d’aller encore à cheval. Depuis deux ans nos jambes avaient enfourché tant de chevaux de tout âge, de toute grandeur, de toute couleur et de toute qualité, qu’elles aspiraient irrésistiblement à s’étendre en paix dans un palanquin. Cela leur fut accordé, grâce à la persévérance et à l’énergie de nos réclamations.

Après ce premier triomphe, il fallut nous insurger contre les décrets du tribunal des rites, au sujet du

  1. Nos craintes n’étaient nullement chimériques. A notre arrivée à Macao, nous apprîmes qu’un lazariste français, M. Carayon, avait été reconnu et arrêté dans une de nos missions du nord. D’après les décrets obtenus par M. Lagrénée, on ne pouvait plus juger et mettre à mort les missionnaires, comme cela se pratiquait auparavant ; on devait les reconduire honorablement jusqu’à Macao. M. Carayon fut donc reconduit, mais enchaîné avec des malfaiteurs, et si maltraité le long de la route, si accablé d’outrages et d’avanies qu’il en est mort peu de temps après. Un autre missionnaire italien, reconduit de la même manière, se vit refuser, pendant la route, la nourriture nécessaire, et mourut d’inanition le jour même de son arrivée à Canton. Il serait trop long de citer tous les missionnaires qui, tout récemment, ont été victimes de la malice des Chinois. En 1851, M. Vacher, des Missions étrangères, fut arrêté dans la province de Yun-nan et jeté en prison, où, peu de temps après, on l’étouffa.
  2. Première ville de la frontière chinoise qu’on rencontre en venant du Thibet. (Voir nos Souvenirs d’un voyage, t. II, p. 517.)